Textes actuellement filtrés par le philosophe Arendt.
ARENDT, texte n° 21, Condition de l’homme moderne :
« Quoi que nous fassions nous sommes censés le faire pour « gagner notre vie » ; tel est le verdict de la société, et le nombre des gens, des professionnels en particulier, qui pourraient protester a diminué très rapidement. La seule exception que consente la société concerne l’artiste qui, à strictement parler, est le dernier « ouvrier » dans une société du travail. La même tendance à rabaisser toutes les activités sérieuses au statut du gagne-pain se manifeste dans les plus récentes théories du travail, qui, presque unanimement, définissent le travail comme le contraire du jeu. En conséquence, toutes les activités sérieuses, quels qu’en soient les résultats, reçoivent le nom de travail et toute activité qui n’est nécessaire ni à la vie de l’individu ni au processus vital de la société est rangée parmi les amusements. Dans ces théories q ...
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ARENDT, texte n° 32, Condition de l’homme moderne :
« Tandis que la spécialisation est essentiellement guidée par le produit fini, dont la nature est d’exiger des compétences diverses qu’il faut rassembler et organiser, la division du travail, au contraire, présuppose l’équivalence qualitative de toutes les activités pour lesquelles on ne demande aucune compétence spéciale, et ces activités n’ont en soi aucune finalité : elles ne représentent que des sommes de force de travail que l’on additionne de manière purement quantitative. La division du travail se fonde sur le fait que deux hommes peuvent mettre en commun leur force de travail et « se conduire l’un envers l’autre comme s’ils étaient un ». Cette
« unité » est exactement le contraire de la coopération, elle renvoie à l’unité de l’espèce par rapport à laquelle tous les membres un à un sont identiques et interchangeables. (…)
Comme aucune des activités en lesquelles le processus est divisé n’a de fin en soi, leur fin
« naturelle » est exactement la même que dans le cas du travail « non divisé » : soit la simple reproduction des moyens de subsistance, c’est-à-dire la capacité de consommation des ...
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ARENDT, texte n° 306, Vies politiques :
« Avec le dialogue se manifeste l’importance politique de l’amitié, et de son humanité propre. Le dialogue (à la différence des conversations intimes où les âmes individuelles parlent d’elles- mêmes), si imprégné qu’il puisse être du plaisir pris à la présence de l’ami, se soucie du monde commun, qui reste « inhumain » en un sens très littéral, tant que des hommes n’en débattent pas constamment. Car le monde n’est pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu’il est devenu objet de dialogue. Quelque intensément que les choses du monde nous affectent, quelque profondément qu’elles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines pour nous ...
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ARENDT, texte n° 321, Condition de l’homme moderne :
« Ce qui est fâcheux, c’est que, quels que soient le caractère et le contenu de l’histoire à venir, qu’elle soit jouée dans la vie publique ou dans le privé, qu’elle comporte un petit nombre ou un grand nombre d’acteurs, le sens ne s’en révélera pleinement que lorsqu’elle s’achèvera. Par opposition à la fabrication dans laquelle le point de vue permettant de juger le produit fini vient de l’image, du modèle perçu d’avance par l’artisan, le point de vue qui éclaire les processus de l’action, et par conséquent tous les processus historiques, n’apparaît qu’à la fin, bien souvent lorsque tous les participants sont morts. L’action ne se révèle pleinement qu’au narrateur, à l’historien qui regarde en arrière et sans aucun doute connaît le fond du problème bien mieux que les participants. Tous les récits écrits par les acteurs eux-mêmes, bien qu’en de rares cas ils puissent exposer de façon très digne de foi des intentions, des buts, des motifs, ne sont a ...
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ARENDT, texte n° 71, Condition de l’homme moderne :
« Parmi les objets qui donnent à l’artifice humain la stabilité sans laquelle les hommes n’y trouveraient point de patrie, il y en a qui n’ont strictement aucune utilité et qui en outre, parce qu’ils sont uniques, ne sont pas échangeables et défient par conséquent l’égalisation au moyen d’un dénominateur commun tel que l’argent ; si on les met sur le marché on ne peut fixer leurs prix qu’arbitrairement. Bien plus, les rapports que l’on a avec une œuvre d’art ne consistent certainement pas à « s’en servir » ; au contraire, pour trouver sa place convenable dans le monde, l’œuvre d’art doit être soigneusement écartée du contexte des objets d’usage ordinaires. Elle doit être de même écartée des besoins et des exigences de la vie quotidienne, avec laquelle elle a aussi peu de contacts que possible. Que l’œuvre ...
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ARENDT, texte n° 366, L’Impérialisme :
« Depuis les Grecs, nous savons qu’une vie politique réellement développée conduit à une remise en question du domaine de la vie privée, et à un profond ressentiment vis-à-vis du miracle le plus troublant : le fait que chacun de nous a été fait ce qu’il est - singulier, unique et immuable. Toute cette sphère du strictement donné, reléguée au rang de la vie privée dans la société civilisée, constitue une menace permanente pour la sphère publique qui se fonde sur la loi d’égalité avec la même logique que la sphère privée repose sur la loi de la différence universelle et sur la différenciation. L’égalité, à la différence de tout ce qui est impliqué dans l’exis ...
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ARENDT, texte n° 129, La Crise de la culture :
« Parmi les choses qu’on ne rencontre pas dans la nature, mais seulement dans le monde fabriqué par l’homme, on distingue entre objets d’usage et œuvres d’art ; tous deux possèdent une certaine permanence qui va de la durée ordinaire à une immortalité potentielle dans le cas de l’œuvre d’art. En tant que tels, ils se distinguent d’une part des produits de consommation, dont la durée au monde excède à peine le temps nécessaire à les préparer, et d’autre part, des produits de l’action, comme les événements, les actes et les mots, tous en eux-mêmes si transitoires qu’ils survivraient peine à l’heure ou au jour où ils apparaissent au monde, s’ils n’étaient conservés d’abord par la mémoire de l’homme, qui les tisse en récits, et puis par ses facultés de fabrication. Du point de vue de la durée pure, les œuvres d’art sont clairement supérieures à toutes les autres choses ; comme elles durent plus longtemps au monde que n’importe quoi d’autre, elles sont les plus mondaines des choses. Davantage, elles sont les seules choses à n’avoir aucune fonction dans le processus vital de la société ; à proprement parler, elles ne sont pas ...
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ARENDT, texte n° 168, Qu’est-ce que la politique ? :
« Ce qui est décisif, c’est que la loi, bien qu’elle délimite un espace où les hommes ont renoncé à la violence entre eux, recèle en elle, du fait de sa formation comme par sa nature même, quelque chose de violent. Elle résulte de la fabrication et non de l’action ; le législateur ressemble à l’urbaniste et à l’architecte, et non à l’homme d’Etat ou au citoyen. La loi, en produisant l’espace du politique, contient cet élément de violation et de violence caractéristique de toute production. En tant qu’artifice, elle s’oppose à ce qui s’est développé naturellement et qui pour être n’a nécessité aucune ass ...
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ARENDT, texte n° 424, La Crise de la culture :
« Il semble qu’on puisse affirmer que l’homme ne saurait rien de la liberté intérieure s’il n’avait d’abord expérimenté une liberté qui soit une réalité tangible dans le monde. Nous prenons conscience d’abord de la liberté ou de son contraire dans notre commerce avec d’autres, non dans le commerce avec nous-mêmes. Avant de devenir un attribut de la pensée ou une qualité de la volonté, la liberté a été comprise comme le statut de l’homme libre, qui lui permettait de se déplacer, de sortir de son foyer, d’aller dans le monde et de rencontrer d’autres gens en actes et en paroles. Il est clair que cette liberté était précédée par la libération : pour être libre, l’homme doit s’être libéré des nécessités de la vie. Mais le statut ...
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ARENDT, texte n° 427, La Crise de la culture :
« Manifestement, la liberté ne caractérise pas toute forme de rapports humains et toute espèce de communauté. Là où des hommes vivent ensemble mais ne forment pas un corps politique - par exemple, dans les sociétés tribales ou dans l’intimité du foyer - les facteurs réglant leurs actions et leur conduite ne sont pas la liberté, mais les nécessités de la vie et le souci de sa conservation. En outre, partout où le monde fait par l’homme ne devient pas scène pour l’action et la parole - par exemple dans les communautés gouvernées de manière despotique qui exilent leurs sujets dans l’étroitesse du foyer et empêchent ainsi la naissance d’une vie publique - la liberté n’a pas de réalité mondaine. Sans une vie publique politiquement garantie, il manque à la liberté l’espace mondain où faire son ...
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ARENDT, texte n° 462, La Condition de l’homme moderne :
« C’est l’avènement de l’automatisation qui, en quelques décennies, probablement videra les usines et libérera l’humanité de son fardeau le plus ancien et le plus naturel, le fardeau du travail, l’asservissement à la nécessité (...).
C’est une société de travailleurs que l’on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté. Dans cette société qui est égalitaire, car c’est ainsi que le travail fait vivre ensemble les hommes, il ne reste plus de classe, plus d’aristocratie politique ou spirituelle, qui puisse provoquer une restauration des autres facultés de l’homme. Même les présidents, les rois, les premiers ministres voient dans leurs fonctio ...
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ARENDT, texte n° 208, La Crise de la culture :
« Est-ce qu’il existe aucun fait qui soit indépendant de l’opinion et de l’interprétation ? Des générations d’historiens et de philosophes de l’histoire n’ont-elles pas démontré l’impossibilité de constater des faits sans les interpréter, puisque ceux-ci doivent d’abord être extraits d’un chaos de purs événements (et les principes du choix ne sont assurément pas des données de fait), puis être arrangés en une histoire qui ne peut être racontée que dans une certaine perspective, qui n’a rien à voir avec ce qui a eu lieu à l’origine ? Il ne fait pas de doute que ces difficultés, et bien d’autres encore, inhérentes aux sciences historiques, soient réelles, mais elles ne constituent pas une preuve contre l’existence de la matière factuelle, pas plus qu’elles ne peuvent servir de justification à l’effacement des lignes ...
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ARENDT, texte n° 471, La Crise de la culture :
« Que les arts soient fonctionnels, que les cathédrales satisfassent un besoin religieux de la société, qu’un tableau soit né du besoin de s’exprimer de l’individu peintre, que le spectateur le regarde par désir de se perfectionner, toutes ces questions ont si peu de rapport avec l’art et sont historiquement si neuves qu’on est tenté simplement de les évacuer comme préjugés modernes. Les cathédrales furent bâties ad majorem gloriam Dei (1) ; si, comme constructions, elles servaient certainement les besoins de la communauté, leur beauté élaborée ne pourra jamais être expliquée par ces besoins, qui auraient pu être satisfaits tout aussi bien par quelque indescriptible bâtisse. Leur beauté transcende tout besoin, et les fait durer à trav ...
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ARENDT, texte n° 480, La Condition de l’homme moderne :
« Quoi que nous fassions nous sommes censés le faire pour « gagner notre vie » ; tel est le verdict de la société, et le nombre des gens, des professionnels en particulier, qui pourraient protester a diminué très rapidement. La seule exception que consente la société concerne l’artiste qui, à strictement parler, est le dernier « ouvrier » dans une société du travail. La même tendance à rabaisser toutes les activités sérieuses au statut du gagne-pain se manifeste dans les plus récentes théories du travail, qui, presque unanimement, définissent le travail comme le contraire du jeu. En conséquence, toutes les activités sérieuses, quels qu’en soient les résultats, reçoivent le nom de travail et toute activité qui n’est nécessaire ni à la vie de l’individu ni au processus vital de la société est rangée parmi les amusements. Dans ces théories qui, en répercutant au niveau théorique l’opinion courante d’une société de t ...
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ARENDT, texte n° 482, La Crise de la culture :
« Parmi les choses qu’on ne rencontre pas dans la nature, mais seulement dans le monde fabriqué par l’homme, on distingue entre objets d’usage et œuvres d’art ; tous deux possèdent une certaine permanence qui va de la durée ordinaire à une immortalité potentielle dans le cas de l’œuvre d’art. En tant que tels, ils se distinguent d’une part des produits de consommation, dont la durée au monde excède à peine le temps nécessaire à les préparer, et d’autre part, des produits de l’action, comme les événements, les actes et les mots, tous en eux-mêmes si transitoires qu’ils survivraient à peine à l’heure ou au jour où ils apparaissent au monde, s’ils n’étaient conservés d’abord par la mémoire de l’homme, qui les tisse en récits, et puis par ses facultés de fabrication. Du point de vue de la durée pure, les œuvres d’art sont clairement supérieures à toutes les autres choses ; comme elles durent plus longtemps au monde que n’importe quoi d’autre, elles sont les plus mondaines des choses. Davantage, elles sont les seu ...
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